en partenariat avec http://www.afp.com
Japon: la souffrance des apprentis sushis
TOKYO, 31 jan 2013 (AFP) - "Des fois je pleure... mais le soir, à la
maison". Bienvenue à l'une des rares écoles de sushi à Tokyo, où ça ne rigole
pas tous les jours.
Pour 6.000 dollars environ pour trois mois, on peut suivre des cours
intensifs de l'école Sushi Zanmaï, une très célèbre chaîne de restaurants de
sushi de la capitale japonaise.
Une formation à la dure au bout de laquelle les plus doués passeront deux
ans d'apprentissage dans un établissement du groupe. Et pendant toute cette
période, ils ne seront que de "petites mains".
Kazuki Shimoyama, le professeur qui vient de réaliser devant une dizaine
d'élèves scotchés un plateau de sushis en deux temps trois mouvements, douche
les espoirs des plus impatients: "pour les bons, il faudra deux ans minimum
avant de pouvoir faire ça, quatre pour les plus lents".
De quoi décourager ceux qui descendent pour la première fois l'escalier
pour accéder en sous-sol à cette école de patience qui accueille deux sessions
de 20 étudiants par an.
La "salle de classe": un univers d'inox, de couteaux tranchants comme des
lames de rasoir, de néons blafard, de planches à découper... A mi-chemin entre
la cuisine de réfectoire et une morgue sinistre. Tout le monde travaille en
silence. Blouse blanche, cravate, mains gantées.
Avant d'arriver au stade de la confection des sushis proprement dite, les
novices doivent apprendre à apprêter poissons et coquillages, à les laver et
les couper.
Les mains sévèrement croisées dans le dos, trois "profs" regardent en
silence ces débutants qui s'escriment maladroitement, face à face, penchés sur
leur paillasse en inox.
On n'entend que la pointe du couteau racler l'arête centrale, le son mat
des coquillages remués dans des seaux, les filets d'eau qui rincent planches à
découper et lames.
L'un dissèque un carrelet, l'autre "torture" un akagaï, sorte de gros
bivalve sanguinolent qui finira sa carrière de façon beaucoup plus esthétique,
une fois transformé en sushi.
"C'est chirurgical"
=====================
Comme un "carabin" (étudiant en médecine) qui fait sa première dissection,
Tetsuya Sakurai, la quarantaine joufflue, peine à lever des filets. Il est
vouté sur la bête, anxieux. Silence de mort. On entendrait la moindre goutte de
sueur tomber sur l'inox dans un fracas épouvantable. Il sait que le maître est
juste derrière lui. Soudain le prof lâche quelques mots. L'index accusateur,
pointe un endroit précis du poisson, le verbe est sec. Il reste un bout de
peau! c'est mal coupé!
"C'est très dur. Je m'entraîne à l'école chaque jour. La découpe du
poisson, c'est chirurgical. Retirer les entrailles de ces coquillages
proprement, par exemple, c'est un vrai casse-tête", raconte Tetsuya Sakurai,
depuis un mois à l'école.
"Pour couper le filet dans la longueur, il faut bien tirer sur la queue
tout en faisant glisser le couteau bien à plat. Vous me suivez?" "OUI!"
"Ensuite vous coupez chaque morceau en biais, et découpez un morceau un peu
plus gros au niveau de la queue. Compris?" "OUI!".
Compris, enfin pas vraiment pour tout le monde: "C'est comme ça que tu
coupes ton maquereau? Ça ne ressemble à rien, recommence!", tonne le prof sur
un Shugenori Yamanaka tétanisé.
Finalement le "close-up" de Kazuki Shimoyama commence, tout en expliquant
comme il va procéder.
Dans la main gauche, la petite tranche de poisson ou de coquillage est
étalée, presque installée dans la paume. L'index droit prélève d'un geste sec
et précis une petite quantité de wasabi dans un bol, juste ce qu'il faut, et la
dépose sur le poisson. La main droite a façonné une boulette de riz qui
"atterrit" sur le poisson. Commence alors un ballet millimétré et rapide. Les
doigts se plient, se déplient, les paumes se lient en une complexe rotation,
tournent, pivotent. Et voilà.
"Wakarimashitaka?" (Vous avez compris ?) Une rafale de "Haï!" (oui!) part
des élèves.
"presque militaire"
=====================
Les travaux pratiques ne seront pas à la hauteur des espérances. Pas assez
de riz, une boulette à la forme bizarre, trop de wasabi...
"Ca a l'air facile comme ça, mais c'est super difficile de former les
boulettes. Le professeur fait ça comme un maestro, mais moi, c'est beaucoup
plus maladroit pour le moment", avoue Shugenori Yamanaka, un jeune élève.
"Il me reste deux mois. Alors je m'entraîne même le soir chez moi. Surtout
pour ces fichus akagai, je n'y arrive pas du tout. Mais j'y arriverai", confie
Tetsuya Sakurai. Après vingt ans comme comptable aux Etats-Unis et en
Angleterre, il rêve d'ouvrir un sushi bar, "en Asie, au Japon, pourquoi pas en
France...".
Si tout se passe bien, les élèves reçoivent un diplôme de niveau 5 au bout
de trois mois (le niveau 1 est le plus élevé). Après 2 ans dans un restaurant,
"ils peuvent prétendre au niveau 4", explique Kazuki Shimoyama.
"Ils gagnent en vitesse et doivent s'efforcer de réaliser les sushis les
plus beaux possibles. Il faut qu'ils s'y donnent corps et âme. Et qu'ils
gardent toujours le sourire pour les clients".
Pour le sourire, ce n'est pas encore ça pour Tetsuya, l'ancien comptable
qui avoue pleurer quelquefois le soir: "Mon professeur est un peu agressif. Il
enseigne à la japonaise, c'est presque militaire! C'est différent de
l'enseignement à l'occidentale, où on te félicite quand tu fais bien.
Le prof, lui, fait le modeste derrière un énigmatique sourire. "J'ai fait
des sushis pendant 29 ans, et pourtant je suis toujours en apprentissage.