Ce matin, les mots forts d’Alain Juppé lors de son discours d’adieu à la ville de Bordeaux, après sa nomination au Conseil constitutionnel.
Alain Juppé est apparu très ému. C’est désabusé par la vie politique d’aujourd’hui qu’il a souligné une ambiance ‘délétère’, la ‘stigmatisation des élites’ et, dit-il, un ‘climat général infecté par les mensonges, les haines que véhiculent les réseaux sociaux’... Difficile, dans cette manifestation de dépit, de la part de celui qui apparaissait comme un homme d’État à sang-froid, de déceler la part de la blessure d’orgueil, de celui qui, en entrant au Conseil Constitutionnel, signe aussi la fin de sa vie dans la mêlée politique, et par la même, le constat effectif, définitif, qu’il ne sera jamais président. C’est peut-être de la psychologie de cuisine mais l’élection présidentielle, pour ceux qui ont eu le statut de favori, est une expérience à la fois de mise à nu et de mise à l’épreuve de l’égo, dont on ne sort pas indemne. Les gagnants à coup sûr, finalement battus, sont passés à deux doigts d’être les successeurs de Saint Louis et de Gaulle. Voilà ce qu’ils vivent ! Bizarrement, ils ne se disent pas ‘tiens, j’aurais pu être successeur de Mac-Mahon ou Deschanel’... Hier Juppé pleurait sur Bordeaux qu’il a aimé et transformé et sur la fin d’une carrière qui devait le mener à l’Elysée...
Mais aussi sur ce qu’est devenue la politique !
Bien sûr. Mais attention au ‘c’était mieux avant’ ! Alain Juppé, dans les années 80, faisait partie d’une classe politique vorace, multicumularde et profiteuse sans vergogne de ce que le pouvoir offrait, dans un contexte de croissance, avec des citoyens moins regardants et une presse moins curieuse. Il a d’ailleurs été condamné pour ça... et en partie, c’est vrai, en lieu et place de Jacques Chirac. Matignon puis Bordeaux, Juppé est passé du chiraquisme parisien et triomphant, autoritaire et droitier des années 80, à une sorte de modération libérale, écologiste, adepte de l’argument complexe, à cent lieues du simplisme ambiant d’aujourd’hui. Toujours distant et moyennement aimable, il n’en est pas devenu moins respecté. Il est un peu anachronique dans ce monde de la haine virale, du tweet lapidaire, de l’équivalence entre l’expertise et le like. On se disait que si des hommes d’Etat comme lui, qui préfèrent s’adresser à notre intelligence plutôt qu’à nos émotions ou nos colères, sont encore là, alors rien n’est perdu. D’autant que Juppé, même avec ses costumes toujours un peu démodés, son ton anguleux et son sourire rare, restait l’un des politiques les plus populaires. Il sera bien à sa place entre les murs lambrissés de la rue Montpensier... dans cette atmosphère juridique hors d’atteinte du clash permanent qui nous tient lieu de débat. L’idée que des personnalités de cette trempe soient à ce poste de vigie a quelque chose de rassurant si une vague populiste devait submerger aussi la France un jour prochain. Mais nous, acteurs, commentateurs et citoyens intéressés par la politique, pouvons en profiter pour nous poser quelques questions sur l’impulsivité, la brutalité de nos arguments… c’est ce à quoi nous invitent aussi les larmes inattendues d’Alain Juppé.