Un mois et demi après le coup d’État en Birmanie le Conseil de Sécurité a unanimement appelé à la désescalade. Ça veut dire que la Chine, souvent présentée comme le parrain de l’armée birmane, s’implique. Mais quelqu’un peut-il vraiment freiner les ardeurs répressives des putschistes ? C'est le monde d'après.
Vous savez comment c’est le langage diplomatique, il faut savoir lire entre les lignes.
Le Conseil de Sécurité de l’ONU appelle donc les militaires birmans, je cite, « à la plus grande retenue » et « à la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement ». Déclaration adoptée à l’unanimité.
Alors bien sûr, le mot « coup d’État » n’est pas prononcé. Mais l’important, c’est l’unanimité. Après 6 jours de négociations en coulisses pilotées par les Britanniques, la Chine, soutien historique des généraux birmans, s’est donc ralliée au texte. C’est un événement. Traduction dans le langage de vous et moi : ce putsch ne plait pas à Pékin, et la Chine pourrait faire pression sur l’armée birmane.
Pourquoi cette volte-face chinoise ? Pour deux raisons.
D’une part, la Chine a aujourd’hui plus à gagner en Birmanie avec un régime démocratique civil plutôt qu’une dictature militaire imprévisible. Un pouvoir civil stable, c’est la promesse pour Pékin de finaliser ses projets économiques très nombreux dans le pays, son voisin du Sud : réseau 5G, pipeline, port en eaux profondes. A l’inverse, une dictature, c’est le chaos, l’exil des minorités du pays en partie vers la Chine.
D’autre part, cette histoire fournit l’occasion à Pékin de modifier son image de sponsor des dictatures militaires, en jouant un rôle de médiateur. La Chine va donc peut-être user de ses moyens de pression économique sur la Birmanie. C’est sans précédent.
L'impuissance occidentale
C'est d'autant plus important que nous, Occidentaux, on ne peut pas faire grand chose. Quels leviers avons-nous à notre disposition ?
Le pouvoir du verbe d’abord : condamner. Emmanuel Macron, la semaine dernière, déclarant sur Twitter à l’adresse des manifestants en Birmanie
« Nous sommes avec vous »
Ou le département d’Etat américain se déclarant « horrifié et révulsé » face à la répression. Il faut utiliser ce pouvoir du verbe. Par principe. Mais en sachant que ce sera sans effet.
Ensuite imposer quelques sanctions économiques ou symboliques. Gel des avoirs bancaires de certains dirigeants birmans, refus de visa. Washington l’a fait à l’endroit de deux des enfants du nouveau dictateur en place Ming Aung Hlaing. Eventuellement faire pression sur les quelques entreprises occidentales présentes en Birmanie, comme Total, mais ce sont des contrats de droit privé.
Reste enfin l’option de l’intervention pure et simple. Le militaire. Certains l’évoquent. Mais c’est hors de propos. Une telle "aventure" n’aura pas lieu. Les États-Unis ont d’autres priorités (le nucléaire iranien, la bataille commerciale avec la Chine) et le trauma des bourbiers passés est trop important, en particulier dans la région (je pense évidemment à la guerre du Viet-Nam). On oublie.
Donc en résumé, l’Occident n’a aucun levier réel sur les militaires birmans. Si ce n’est de convaincre la Chine de s’en mêler. Et ça, c’est fait depuis hier.
Des militaires imperméables au monde extérieur
Donc retour à la case chinoise et question: à défaut des Occidentaux, la Chine peut contrôler les militaires birmans ? Et bien même ça, ce n’est pas évident.
D’ailleurs, après la déclaration unanime du Conseil de Sécurité, l’armée birmane a répondu à sa manière, dès aujourd’hui : nouvelle répression, 9 morts au moins, ça fait désormais plus de 60. Et nouvelle inculpation de l’opposante Aung San Suu Kyi, cette fois pour corruption et pots de vin. Ça s’appelle un bras d’honneur adressé à l’Onu.
Ça fait près de 60 ans que l’armée birmane, Tatmadaw comme on l’appelle là-bas, est imperméable au monde extérieur. Tatmadaw se voit comme l’incarnation du pays, la détentrice du bien et de la cohésion nationale, y compris via l’élimination des minorités ethniques. L’armée birmane contrôle aussi toute l’économie du pays : les mines de pierres précieuses, l’industrie textile, l’attribution des concessions pétrolières, et aussi le trafic de drogue.
Quant au nouveau dictateur, il détient, via sa famille, la principale holding de Birmanie. Et s’il abandonne le pouvoir, il risque d’être poursuivi par la justice internationale, pour les exactions contre la minorité musulmane des Rohingyas, exactions qui s’apparentent à un génocide selon l’Onu. Vous avez compris : pour toutes ces raisons, les militaires birmans ne vont pas lâcher l’affaire facilement. Les pressions internationales, même chinoises, seront d’une efficacité limitée.
Reste la société civile birmane, admirable dans sa résistance aussi pacifique que déterminée. Ces femmes en première ligne. Ces médecins, ces étudiants, ces cheminots. Ils vont devoir continuer à compter d’abord sur eux-mêmes.