A 6 mois du scrutin, la grogne monte dans le pays contre le gouvernement d’Angela Merkel. C’est une première. La nuit dernière, la chancelière n’est pas parvenue à convaincre les dirigeants de régions de durcir les mesures de restriction. La campagne électorale s'annonce à suspense. C'est le monde d'après.
Il était 3h du matin, la nuit dernière. Après 12h de négociation ardue avec les chefs des Länder, les puissantes régions allemandes, Angela Merkel apparait devant les caméras. C’est saisissant : la chancelière est pâlotte, les traits tirés, les cheveux un peu en bataille, le verbe lent. Elle est fatiguée.
Alors bien sûr, il est du 3h du mat’. Mais il y a plus que ça : on sent peser sur elle les 16 années qu’elle vient de passer au pouvoir, et surtout la tension politique liée à la pandémie.
Parce que c’est d’abord ça le sujet : les pouvoirs publics allemands, admirés de toute l’Europe au printemps dernier face à la première vague, sont désormais critiqués comme les autres. Titre aujourd’hui du célèbre magazine allemand Der Spiegel, après la réunion de la nuit dernière : Chaos Corona Club. Pas besoin de traduction. La chancelière qualifie la situation sanitaire de « très grave » face au variant anglais, mais elle n’a quasiment rien obtenu des régions, si ce n’est une reconduction des restrictions existantes et un long week-end de Pâques confiné. Moins d’un Allemand sur 2 approuve désormais la gestion politique de la pandémie. Le bilan humain s’alourdit : 75.000 morts, même si ça reste 33% de moins que la France si on rapporte ce chiffre à la population totale. La vaccination tâtonne, elle avance plus lentement qu’en France.
Angela Merkel a perdu la main. C’est aussi ce que raconte son visage aux traits tirés. « Der Frust ist gross » écrit le quotidien Süddeutsche Zeitung, sa frustration est grande.
Scandales de corruption et revers électoraux
La chancelière ne tient plus vraiment ses troupes, d’autant que les soucis s’accumulent pour son parti, les chrétiens-démocrates de la CDU. Il n’y a pas que la pandémie. La CDU traverse une zone de turbulences, illustration de la célèbre formule de Jacques Chirac, « les emmerdements volent en escadrille ».
Le parti de la chancelière vient d’essuyer deux gros revers électoraux. Lors des régionales en Rhénanie Palatinat et Bade Wurtemberg, il y a 8 jours, deux régions proches de la France, il a enregistré son plus mauvais score depuis 70 ans. Et ces deux régions sont donc restées aux mains, des sociaux-démocrates pour la première, des Verts pour la seconde.
Par-dessus le marché, plusieurs scandales frappent la CDU. Deux députés ont dû démissionner, soupçonnés d’avoir touché des centaines de milliers d’euros de commissions auprès de fabricants de masques. Un troisième élu est soupçonné de liens financiers douteux avec l’Azerbaïdjan. On n’en est pas encore au scandale des caisses noires qui avait secoué tout le parti il y a 20 ans. Mais ça se fissure et l’image de probité de la CDU, un gros atout électoral jusqu’à présent, en prend un coup.
Ajoutons que l’économie stagne (une récession est annoncée pour ce 1er semestre) et que le doute règne sur l’identité du futur leader pour la campagne, Armin Laschet ou Markus Söder. Ne succède pas à Angela Merkel qui veut.
Les Verts en position d'arbitre
La CDU reste malgré tout favorite des élections de septembre. Mais le scénario d’une défaite, encore impensable il y a quelques mois, devient possible. Et ce serait un séisme politique. Dans les 4 dernières enquêtes d’intention de vote, le parti d’Angela Merkel, qui a longtemps frôlé avec les 40%, est désormais sous la barre des 30% : 29, 28. La baisse est régulière.
A l’inverse, les Verts progressent de semaine en semaine. Les voilà au-dessus de 20%. Vendredi dernier, ils ont dévoilé un programme ambitieux. 134 pages avec des objectifs élevés sur l’environnement, l’énergie, le haut débit, et l’abandon du tabou allemand sur l’endettement.
Les écologistes s’installent comme la 2ème force politique du pays. Et s’annoncent comme les pivots de toute future coalition après les élections. Jusqu’à présent, on leur prêtait l’intention d’être la force d’appoint dans un futur gouvernement que continuerait de mener la CDU. Mais l’appétit vient en mangeant : ils pourraient chercher à être plus qu’une force d’appoint, à diriger une coalition, avec d’autres partis, les sociaux-démocrates de centre gauche ou les libéraux. Et dans ce cas, la CDU se retrouverait dans l’opposition.
A 6 mois presque jour pour jour du scrutin (ce sera le 26 septembre), le suspense est entier en Allemagne. Et toute l’Europe, la France en particulier, va bientôt se retrouver les yeux rivés sur cette campagne électorale qui s’annonce fascinante. Elle va non seulement refermer ce chapitre extraordinaire de 16 ans de gouvernance Merkel. Mais elle peut aussi bouleverser les équilibres dans toute l’Europe.