D’un côté, la Thaïlande, 26e PIB par habitant au classement mondial. De l’autre, le Cambodge, beaucoup plus pauvre. Entre les deux, une frontière qui s’ouvre tant bien que mal entre deux univers très complémentaires. À Aranyaprathet, on fait des affaires, à Poïpet, on joue de l'argent. Et tout le monde y gagne.
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Le commerce en ce moment est calme mais le train devrait nous aider à augmenter nos chiffres. Ça devrait permettre de voir l'économie reprendre ici.
Madame Vana y croit. Elle qui gère les réservations d'un hôtel espère que la région dans laquelle elle vit va connaître des jours meilleurs. Nous sommes à Aranyaprathet, en Thaïlande, à quelques mètres de la frontière avec le Cambodge.
Loin des sites touristiques, ce lieu de passage – mais surtout de commerce – est à des heures de train de Bangkok ou de Poïpet. La mise en place d'une ligne directe et moderne pourrait relancer l'économie entre les deux pays.
Contrôle d'une cargaison lors du passage à la douane. Un agent, avec un couteau ou un cutter, fait une entaille dans le sac pour en vérifier le contenu. Le contrôle est rapide est sommaire.
Coup de sonnette : c’est bon, le chargement a été pesé. Le vendeur peut avancer, et avec lui, l’énorme remorque qu’il tracte à la force des bras. Un coup de cutter dans les sacs : le douanier en vérifie le contenu : des habits, des épices…
Ils sont des milliers chaque jour, Cambodgiens, Cambodgiennes, à traverser ainsi la frontière de Poïpet vers, côté thaïlandais, le marché au gros de la ville d'Aranyaprathet.
Ici, on trouve des vêtements, des sacs, des accessoires en plastique bas de gamme, fabriqués au Cambodge ou au Vietnam. Les vendeurs, majoritairement khmers, écoutent la musique de leur pays.
Des espoirs économiques
L’un dort à l’ombre de ses T-shirts. Un autre, Dany, se plaint de la baisse d’activité.
J’ai remarqué que les Thaïlandais achetaient moins, et ça nous affecte. Car ce sont nos principaux clients. J’avais l’habitude de gagner l’équivalent de 300 à 500 dollars par mois. Aujourd’hui c’est plutôt entre 30 et 100 dollars.
Une activité en baisse alors que, côté cambodgien, les immeubles poussent…
À quelques mètres des douaniers, un stand nous attire : "Vente d'appartement tout confort dans complexe luxueux, de l’autre côté de la frontière."
Kin Heng, une hôtesse de vente, cambodgienne de 20 ans, se présente :
Je parle thaï parce que j’ai travaillé pour un Thaïlandais ; j’ai appris en regardant les informations et les séries télés thaïlandaises.
Son activité ?
Nous proposons des appartements à Poïpet parce que beaucoup de Thaïlandais font du commerce avec le Cambodge. Certains achètent les appartements pour les louer ensuite.
La Thaïlande,avec son PIB de 6 500 dollars par habitant, n’a rien à envier au Cambodge, où la richesse créée par habitant ne dépasse pas 1 400 dollars. Mais il y a fort à faire côté cambodgien.
Un intérêt partagé
Nous sommes désormais à Poïpet, avec des casinos partout... Ils attirent les Thaïlandais – les jeux d’argent sont interdits dans leur pays – qui viennent y jouer, souvent y perdre et parfois s’y faire tuer pour des dettes de jeux.
Il y a aussi les étrangers vivant en Thaïlande. Comme Sam, Australien de 40 ans, installé à Pattaya. "Pour boire et se relaxer", dit-il. Il traverse la frontière régulièrement.
Je fais d’une pierre deux coups : je joue un peu, et je renouvelle mon visa.
La première fois qu’il est venu à Poïpet, c’était il y a deux ans. Et la ville a bien changé, assure-t-il :
Les immeubles sont de plus en plus nombreux. Vous venez ici vers 18h, vous voyez toutes sortes d’échanges entre les deux côtés de la frontière. Le matin, le soir, les allers-retours. Il y a beaucoup d’argent qui circule ici.
26e PIB par habitant au niveau mondial pour la Thaïlande, 110e pour le Cambodge... Les deux voisins ont compris qu’ils pouvaient tirer profit l'un de l’autre.
Le 22 avril dernier, une ligne ferroviaire censée relier les deux pays était inaugurée. Ainsi qu'une gare toute neuve, alors qu'aucun train ne circule plus au Cambodge depuis la guerre civile, depuis plus de quarante ans.
"Voilà qui devrait aider le Cambodge et favoriser un peu plus l'essor de la Thaïlande", estime Stéphane Rennesson, anthropologue au CNRS basé à Bangkok.
Mais la liaison, qui était annoncée depuis plusieurs années, n'est toujours pas en fonction. Malgré l'inauguration, des problèmes politico-financiers demeurent, selon plusieurs spécialistes.
Et jusqu’à présent, ce sont toujours de vieux trains, très lents, qui relient de part et d'autre les capitales à la frontière. Sans même pouvoir la traverser.